Cet article est librement inspiré de la lecture du livre : « Le cœur au travail » de Roland de Saint Etienne et Cécile Sarfati, Edition Reste à faire, 2016.

Dans cet ouvrage, les auteurs nous posent une question toute simple : « Quelle est la place de l’amour dans le monde du travail ? »

Dans cet article, je ne vais ni exposer la pensée des auteurs, ni faire une synthèse de leur ouvrage, mais plutôt vous livrer mes réflexions sur cette question. 

 

Selon moi, si l’on définit l’amour comme la qualité de la relation à soi et aux autres, alors par nature, l’amour a nécessairement toute sa place dans les entreprises : elle est même la condition nécessaire au fonctionnement des entreprises, l’huile qui permet aux rouages de l’entreprise taylorisée, numérisée de tourner avec le minimum de frottements.

Je vais proposer deux hypothèses à mon raisonnement.

La première est historique : la segmentation du travail est très récente dans l’histoire de l’humanité, elle n’est donc pas « naturelle » pour l’homme, qui n’y est pas encore adapté ; la seconde est théorique : si le libéralisme économique repose en partie sur les écrits d’Adam Smith, on oublie trop souvent son premier ouvrage, qui a mon avis éclaire le second, le complète, lui donne tout son sens et sa richesse.

La segmentation du travail est un événement très récent à l’échelle de l’humanité.

Et si l’Histoire nous aidait à mieux comprendre notre relation au monde du travail ? A l’échelle de l’humanité, la relation au monde du travail qui est la nôtre est tout à fait nouvelle. Rappelons quelques repères.

Après une longue évolution, l’Homo Sapiens moderne apparaît en Afrique il y a environ 350.000 ans. S’ensuit une longue période de migration, qui l’amène progressivement à conquérir toutes les terres non gelées, autour de 10.000 ans avant notre ère.

Puis, l’agriculture et la sédentarisation s’imposent. La densification des populations fait émerger les villes. Les sociétés se structurent, et des spécialités professionnelles apparaissent : les politiques pour gérer la cité, les guerriers pour les protéger, les agriculteurs pour les nourrir, les artisans pour fournir des outils et des armes, et les commerçants pour assurer la circulation des biens et services.

Ce n’est qu’au 18ème siècle que naît la révolution industrielle en Angleterre.

Ainsi, si l’on ramène l’âge de l’humanité (350.000 ans) à celui d’un homme (100 ans), alors la révolution industrielle nous aurait impacté il y a moins d’un mois, et la révolution numérique il y a moins d’une semaine !

Or, si l’on prend comme principe que l’être humain en tant qu’espèce, comme tout autre animal, évolue notamment génétiquement pour s’adapter à son environnement, l’on peut se poser la question de sa capacité à évoluer à un rythme suffisamment soutenu pour faire face à des changements si radicaux et rapides.

L’homme, tant individuellement que collectivement, a besoin de temps pour s’adapter aux changements, dont il est lui-même à l’origine.

Et qu’est-ce qu’un mois dans la vie d’un homme, pour s’adapter à un changement si radical que celui qui consiste à passer de chasseur cueilleur à acteur d’un monde taylorisé, numérisé ?

Quelles sont les caractéristiques de la vie d’un chasseur cueilleur ?

Justement, la non-séparation des différentes sphères de sa vie, qu’il nous semble aujourd’hui « naturel » de segmenter. Pour les chasseurs cueilleurs, l’école, le travail, la famille forment un tout, qui se vit dans le même espace-temps. C’est en chassant et en cueillant, en famille, qu’on apprend à reconnaître les espèces, les techniques de chasse, etc. Ce que nous avons segmenté était – il n’y pas si longtemps – étroitement lié.

D’ailleurs, si la révolution industrielle est née en Angleterre, c’est un écossais qui en a rédigé les fondements théoriques : Adam Smith. Et si l’on cite bien volontiers « La Richesse des Nations » comme l’un des textes fondateurs du libéralisme économique, publié en 1776, on oublie trop souvent l’autre ouvrage majeur d’Adam Smith : la « Théorie des sentiments moraux », qu’il publie 16 ans plus tôt. Certains chercheurs y voient une opposition, d’autres une complémentarité.

Pour les seconds, la richesse de la pensée de Smith vient justement de la complémentarité des deux ouvrages : l’un met en avant l’existence d’une « main invisible du marché », qui régit le fonctionnement du monde physique de la richesse matérielle, l’autre insiste sur la nécessité de la philosophie morale pour contribuer au bonheur intérieur.

A mon sens, la clé d’un fonctionnement harmonieux de nos sociétés repose sur cet équilibre entre le monde matériel et le monde intérieur.

Alors, comment aujourd’hui réussir à maintenir cet équilibre dans nos entreprises, entre monde matériel et monde intérieur, dans un monde où les tâches sont de plus en plus segmentées, et les procédures de plus en plus « dématérialisées » ?

Et si la clé résidait dans la qualité de la relation à soi-même et aux autres, qu’introduisait Adam Smith dans son premier ouvrage ? 

Au niveau macro-économique, ce sont les échanges qui rendent possible la segmentation du travail. Au niveau micro-économique, c’est la même chose.

Plus nous segmentons les tâches, plus la qualité des relations est importante, pour fluidifier les échanges.

Et comme l’être humain, à l’échelle de l’humanité, a vécu toute sa vie – sauf un mois – dans un monde où tout est lié – école, amour, travail, famille – alors nécessairement, il n’est pas encore « naturellement » adapté à un monde segmenté, où tout ne serait que procédures. Il a besoin de temps pour s’adapter. Il a besoin de relations pour faire fonctionner les échanges, pour rendre la segmentation possible.

A mon sens, la qualité des relations – à soi et aux autres – est donc une des conditions nécessaires à la performance des entreprises. 

Olivier ENDELIN

9, rue Beaurepaire
75010 PARIS

09 52 92 99 30

  @mail

9, rue Beaurepaire
75010 PARIS